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Absence d’appel direct du prévenu contre les mesures restrictives prononcée par le JLD dans le cadre de la CPPV : pas d’inconstitutionnalité

Pénal - Procédure pénale
15/02/2019
Indépendamment des critiques fondées sur le droit à un recours effectif et l’égalité des armes, le Conseil constitutionnel valide les dispositions de l’article 394 du Code de procédure pénale, telles qu’interprétées par la Cour de cassation, qui ne permettent pas au prévenu convoqué par procès-verbal d’interjeter appel de la décision du juge des libertés et de la détention de le placer sous contrôle judiciaire ou sous assignation à résidence avec surveillance électronique.
Dans le cadre de procédures suivies des chefs de de travail dissimulé et de banqueroute, la Chambre criminelle de la Cour de cassation (Cass. crim., 24 oct. 2018, n° 18-84.726 ; Cass. crim., 24 oct. 2018, n° 18-84.727 ; Cass. crim., 24 oct. 2018, n° 18-84.730) a décidé de transmettre trois questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) relatives à la conformité des dispositions de l’article 394 du Code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi du 3 juin 2016 (L. n° 2016-731, 3 juin 2016, JO 4 juin).

Rappelons que ce texte prévoit que le procureur de la République peut inviter la personne déférée à comparaître devant le tribunal correctionnel dans un délai qui ne peut être compris entre dix jours (sauf renonciation expresse de l'intéressé en présence de son avocat) et six mois. Cette notification, mentionnée dans un procès-verbal dont copie est remise sur-le-champ au prévenu, vaut citation à personne. À cette occasion, le parquet peut estimer nécessaire de soumettre le prévenu, jusqu'à sa comparution devant le tribunal, à une ou plusieurs obligations du contrôle judiciaire ou de le placer sous assignation à résidence avec surveillance électronique. L’intéressé doit alors être traduit sur-le-champ devant le juge des libertés et de la détention (JLD).

La Cour de cassation considère que ce texte n'ouvre pas au prévenu la voie de l'appel contre ces ordonnances, en prenant en compte le fait que celui-ci a la possibilité de faire examiner, sans délai, sa situation par une juridiction distincte, en saisissant le tribunal correctionnel afin de solliciter la mainlevée ou la modification de ces mesures en application des articles 141-1 et 148-2 du Code de procédure pénale (voir not. Cass. crim., 12 avr. 2016, n° 16-80.738). Elle admet en revanche l'appel du ministère public contre ces mêmes ordonnances du fait de son droit d'appel général, de son rôle spécifique de défense de l'intérêt général et de l'absence, en ce qui le concerne, de toute autre possibilité de remettre en cause la décision du juge des libertés et de la détention (voir par ex. Cass. crim., 10 mars 2015, n° 14-88.326, Bull. crim., n° 49 et les décisions de renvoi des présentes QPC).

Les requérants soutiennent que ces dispositions, telles qu’interprétées par la Cour de cassation, méconnaissent le droit à un recours juridictionnel effectif, faute de prévoir la possibilité pour le prévenu, convoqué par procès-verbal, de faire appel de la décision le plaçant sous contrôle judiciaire, tandis que le ministère public peut, lui, faire appel d’une décision de refus de placement sous contrôle judiciaire, ces dispositions contreviendraient également au principe d’égalité devant la justice. Ces dispositions contreviendraient également au principe de clarté de la loi en raison de leur imprécision.

Joignant les QPC et restreignant le champ de l’analyse à la troisième phrase du troisième alinéa de l’article 394 du Code de procédure pénale, le Conseil constitutionnel rappelle la teneur des articles 6 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme de 1789 et le principe selon lequel « si le législateur peut prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s’appliquent, c’est à la condition que ces différences ne procèdent pas de distinctions injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales, notamment quant au respect du principe des droits de la défense, qui implique en particulier l’existence d’une procédure juste et équitable garantissant l’équilibre des droits des parties ». Il résulte en outre de l’article 16 de la Déclaration de 1789 qu’il ne doit pas être porté d’atteinte substantielle au droit des personnes intéressées d’exercer un recours effectif devant une juridiction.

Le Conseil constitutionnel prend acte de ce qu’il résulte de ces dispositions, telles qu’interprétées par la Cour de cassation, que le prévenu convoqué par procès-verbal ne peut former appel de la décision du juge des libertés et de la détention de le placer sous contrôle judiciaire ou sous assignation à résidence avec surveillance électronique.
 
Mais pour le Conseil, deux éléments empêchent de considérer que la différence de traitement entre le prévenu et le ministère public, s’agissant de leur droit d’appel, procède pas de discriminations injustifiées.

D’une part, en application des dispositions combinées des articles 140, 141-1 et 142-8 du Code de procédure pénale, le prévenu ainsi placé sous contrôle judiciaire ou sous assignation à résidence avec surveillance électronique peut, à tout moment, saisir le tribunal correctionnel d’une demande de mainlevée ou de modification de ces mesures. À cette occasion, il peut notamment faire valoir l’irrégularité de l’ordonnance du JLD ayant ordonné la mesure. Conformément aux dispositions de l’article 148-2 du même code, le tribunal correctionnel statue sur cette demande de mainlevée ou de modification dans les dix jours de la réception de la demande et cette décision est susceptible d’appel. Dès lors, si la personne convoquée par procès-verbal ne peut faire appel de l’ordonnance du JLD qui l’a placée sous contrôle judiciaire ou sous assignation à résidence avec surveillance électronique, elle dispose d’autres moyens de procédure lui permettant de contester utilement et dans des délais appropriés les dispositions de cette ordonnance.

D’autre part, il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de cassation que le procureur de la République peut faire appel de la décision du JLD refusant de placer un prévenu convoqué par procès-verbal sous contrôle judiciaire ou sous assignation à résidence. En revanche, à la différence du prévenu, le ministère public ne peut saisir le tribunal correctionnel lorsque le JLD n’a pas fait droit à sa demande.

Il résulte de tout ce qui précède que « la différence de traitement contestée ne procède pas de discriminations injustifiées et que sont assurées au prévenu des garanties égales, notamment quant au respect du principe des droits de la défense ». Les dispositions contestées ne méconnaissent pas non plus, en tout état de cause, le droit à un recours juridictionnel effectif. Les griefs tirés de la méconnaissance des exigences constitutionnelles précitées doivent donc être écartés. Les dispositions contestées, qui ne méconnaissent aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, doivent être déclarées conformes à la Constitution.
Source : Actualités du droit